4h30, le réveil sonne dans le dortoir. J’expédie ma toilette et le petit-déjeuner, et j’enfile dans la pénombre mon pantalon d’alpinisme et mes différentes couches de vêtements : dans la nuit à 2700 mètres d’altitude, il fait froid.
Il nous reste presque 1 400 mètres de dénivelé positif à parcourir pour parvenir au sommet. La course sera longue, mais belle, je le sais. Les premiers kilomètres sont arpentés dans l’obscurité. Au loin, les lampes frontales des autres cordées ressemblent à des essaims de lucioles dans la nuit italienne. L’ambiance est belle et poétique. Nous avançons calmement, mais régulièrement, avec un objectif énoncé par Pierrick : marcher d’un bon pas, mais sans s’épuiser, sans brûler toutes nos forces, car la montée durera plusieurs heures. L’aurore vient nous rattraper quelque part sur les dalles rocheuses, nous baignant de rose et d’or. Je ne connais rien de plus beau que les levers de soleil en haute montagne.
Le soleil monte dans un ciel sans nuages et il se met à faire chaud. J’enlève mes couches, je sors la crème solaire. Lorsque nous prenons pied sur la neige et la glace, il est temps de sortir du sac nos crampons et de nous encorder. La réverbération est intense, mes lunettes de soleil catégorie 4 me sont bien utiles pour savourer sans risque la beauté inouïe du paysage. J’ai dans le cœur cette sensation de joie qui m’envahit à chaque course alpine : je pense à la chance que j’ai d’être vivante, d’être en bonne santé et d’avoir un corps qui me porte à cette altitude, et d’avoir un tel spectacle offert à mes yeux émerveillés.
A quelques centaines de mètres de distance du sommet, la montre d’un de mes compagnons de cordée sonne : nous avons dépassé les 4 000 mètres. On se tape dans les mains, on se réjouit. Mais l’ascension n’est pas finie. Il nous reste à franchir la rimaye, que l’été a bien creusée. Le passage est délicat, impressionnant. Mais Pierrick, qui s’est frotté à bien pire dans les Alpes et en Himalaya, sait nous rassurer (par des mots) et nous assurer (avec la corde). Une fois la crevasse franchie, il nous reste une dernière ascension rocheuse vers le sommet, une sorte de via ferrata de haute altitude, où nous montons par des échelles sur le granite majestueux du Grand Paradis. L’ampleur du vide en dessous rend l’expérience impressionnante, mais sans danger, et nous n’avons d’yeux que pour le sommet, si proche.