Je suis seul à naviguer, je prends le temps de m’imprégner du moment. Je me sens privilégié d’être là, au pied des habitations, derrière la vie. D’ailleurs, j'entends des bruits et des discussions qui proviennent des jardins. Ce n’est pas encore l’heure, pourtant beaucoup de choses indiquent déjà l’apérotivo. Je m’enfonce un peu plus dans ce petit bras d’eau, jusqu’à tomber face à un édifice massif de briques rouges et de vitraux. Je pense d’abord que c’est sans issue, puis je me rapproche un peu plus en glissant et entrevois un bout de ciel entre les toits. Je comprends que les murs ne sont pas vraiment droits, mais que cela doit pouvoir passer en kayak. Le passage est étroit pour les gondoles, mais aisé en kayak. Je comprendrai plus tard en scrutant ma carte avec un spritz dans la main que ce bâtiment était la Scuola Grande San Giovanni Evangelista di Venezia, la plus antique des scuola (confréries religieuses) encore actives à Venise. Le passage est étroit, on se sent tout petit, comme une souris tombée entre deux épaisseurs de murs d’une maison. Je ne suis pas coincé, plutôt enlacé de parois qui guident le passage de l’eau, comme dans un canyon de hauts murs de briques.
Quelques mètres après l’imposant bâtiment, le canal poursuit sa route en grand arc de cercle vers la gauche, autour des habitations ocre. Je me sens comme dans une rue résidentielle bourrée de charme et d’eau. Face à toute cette immobilité qui m'entoure, la sensation de glisse est très agréable. C’est le meilleur des petits trains pour Venise... Je suis seul depuis maintenant dix bonnes minutes, je balade mon regard partout et me fais discret pour ne pas perturber la tranquillité.
Je glisse encore un peu et commence à tenter de repérer où je suis exactement, car j’arrive sur un point de rendez-vous avec ma copine, juste derrière la Scuola Grande de San Rocco. Yes, bonne nouvelle, je l'aperçois sur le quai et la place est très peu pratiquée, je vais pouvoir « beacher » le kayak à quai et manger une glace au bord de l’eau.
Cette parenthèse m’a beaucoup plu, j’ai déjà envie d’en avoir deux pour partager des moments comme ça avec ma copine. J’aimerais qu’elle aussi soit témoin d’un spectacle pareil. Je vais continuer un peu mon excursion avant de rentrer par le même chemin pour éviter de me perdre et j’ai déjà couvert pas mal de distance. Du coup, je décide de prendre tout ce que je peux avec moi pour soulager Milena qui rentre à pied. Je suis assez surpris de pouvoir charger mon bateau comme ça. J’ai pu rajouter le sac à dos qu’elle portait en plus de celui du kayak.
Une vraie bonne nouvelle pour mes trips à venir, je pourrai être autonome et transporter ma pompe, mon sac de portage ainsi qu’un petit sac étanche avec mes essentiels comme mon téléphone, de la crème solaire, une tenue de change et de quoi m’alimenter et m’hydrater.