Récits de voyage

Packraft en Albanie

Marcos Luvini est un athlÚte argentin résidant à Chamonix Mont Blanc et à Buenos Aires. Il est passionné par le splitboard, la randonnée et les sports nautiques tels que l'apnée, le stand up paddle et le pack rafting. Il raconte son aventure en packraft en Albanie.

La riviĂšre Vjosa est connue pour ĂȘtre l'un des derniers cours d'eau non endiguĂ© d'Europe. En 2020, sa protection avait Ă©tĂ© annoncĂ©e publiquement en Albanie, mais les faits montrent le contraire et les travaux avancent.

Ce cours d’eau traverse les montagnes grecques et se jette dans l'Adriatique sur la cĂŽte albanaise. Depuis des annĂ©es, la menace de construction de barrages est importante, et dans le mĂȘme temps des associations s’activent pour le dĂ©fendre. Le rafting, tout comme d'autres activitĂ©s touristiques, ainsi qu'une forte activitĂ© locale de pĂȘcheurs dans la derniĂšre partie, font de la Vjosa une riviĂšre vivante qui relie les hommes et l'environnement.
J'ai dĂ©cidĂ© d'en faire mon projet pour profiter des packrafts de l'Itiwit pendant le printemps Balkan. L’objectif serait de descendre du canyon de Vikos par la riviĂšre Voidomatis pour rejoindre la Vjosa et ainsi atteindre la mer. Ce plan sera par la suite modifiĂ© pour ramer depuis Konitsa sur 250 kilomĂštres en sept jours.

Le canyon de Vikos et Konitsa

De Chamonix Mont Blanc Ă  GenĂšve, de GenĂšve Ă  l'Ăźle de Corfou par avion, de Corfou un ferry et de l'auto-stop pour atteindre la belle ville de Ioannina. Excellente surprise, il s’agit d’une ville avec une authentique vie grecque, un lac charmant et un beau site archĂ©ologique entremĂȘlant l’art musulman, grec et byzantin.
Puis de Ioannina, aprĂšs avoir fait des provisions et attendu que la pluie cesse, direction le canyon de Vikos. C'est une gorge avec des murs dans sa partie la plus profonde, avec des parois de 900 mĂštres de hauteur. J'ai visitĂ© Monodendri un jour, avant de me lancer dans la riviĂšre, de l'autre cĂŽtĂ© du canyon. Une ville trĂšs touristique, mais somme toute Ă  visiter. Son couvent orthodoxe, ses rues pavĂ©es, ses sentiers. Je recommande d'aller visiter d'autres villes de la rĂ©gion comme je l'ai fait en compagnie de personnes de l'auberge oĂč j'ai dormi. Tsepelovo, Aristi, les ponts historiques de la rĂ©gion et plus encore. Toute la rĂ©gion est magique.
J'ai eu quelques inquiĂ©tudes en parlant aux gens du coin, il avait beaucoup neigĂ© durant la saison d’hiver et par consĂ©quent, beaucoup d’eau dans les riviĂšres, en plus des pluies diluviennes de ces derniĂšres semaines. J'ai descendu le canyon depuis la ville de Vikos jusqu'aux sources de la riviĂšre Voidomatis. Le paysage est spectaculaire, on peut voir toute la splendeur du canyon, la nature verdoyante, une eau cristalline et puissante jaillissant de la terre elle-mĂȘme. J'ai analysĂ© les conditions dans cette section supĂ©rieure et aprĂšs avoir cherchĂ© un endroit pour entrer dans la riviĂšre, j'ai commencĂ© Ă  pagayer. La section supĂ©rieure de la Voidomatis est de niveau 3 avec des virages serrĂ©s et des piĂšges auxquels il faut faire attention. Un canyon Ă©troit, ne pouvant ĂȘtre descendu que par la riviĂšre. Il faut ĂȘtre expĂ©rimentĂ©, je l'ai descendu avec beaucoup plus d'eau que prĂ©vu ; un type d'erreur qui pourrait ĂȘtre rĂ©solu en parlant plus avec des athlĂštes locaux.
Le sac Ă  dos Ă  l'avant du packraft nous fait perdre de la puissance dans le virage, tout en changeant le centre de gravitĂ©. J'amĂ©liorais certaines dispositions pour ĂȘtre capable de charger la quantitĂ© d'Ă©quipement que j'avais et en mĂȘme temps pouvoir passer ces sections techniques. J'ai fait une bonne roulade et j’ai chutĂ©. Une leçon retenue qui s'est terminĂ©e par un feu de camp et de la nourriture dans la zone infĂ©rieure du Voidomatis avec l'aide de deux kayakistes allemands.
En fait, j'ai dĂ» repenser mon voyage aprĂšs avoir parlĂ© avec eux. Une tempĂȘte est arrivĂ©e plus tĂŽt que prĂ©vu et j'ai dĂ» changer mes plans aprĂšs une journĂ©e difficile.

Konitsa- Permet

C'est ici que commence la vraie pagaie du Vjosa. AprĂšs deux jours d'attente et de rĂ©parations, je suis retournĂ© sur la riviĂšre depuis Konitsa, une ville emblĂ©matique. Les fenĂȘtres mĂ©tĂ©o Ă©taient brĂšves ne durant pas plus d'une journĂ©e, plus quelques orages Ă©lectriques isolĂ©s. Je devais donc ramer plus de quarante-cinq kilomĂštres le premier jour.
La riviĂšre comporte des rapides de niveau 2 dans la premiĂšre section, avec des marches obligatoires Ă  plusieurs reprises pour rejoindre le cours principal. Des pauses pour boire du matĂ©, grignoter, faire une petite sieste, prendre des photos. Et mĂȘme rĂ©parer une crevaison avec le kit de rĂ©paration. Je suis passĂ© en Albanie. La riviĂšre se rĂ©trĂ©cit Ă  nouveau et prĂ©sente quelques virages et rapides qui demandent plus de vigilance dans la lecture et de manƓuvre. Le paysage fait tout, une zone de montagne sur la rive gauche, oĂč je ne cessais d'imaginer des lignes pour surfer avec mon splitboard.
Photo bivouac sur la riviĂšre Konitsa
Le fleuve, veine de l'Europe.
Il ne faut pas plus d'une journĂ©e Ă  pagayer dans ces eaux pour comprendre l'importance de les prĂ©server. Je viens d'Argentine, un pays oĂč nous avons la chance d'avoir des riviĂšres sauvages en abondance. Voir qu'en Europe elles se font rares, elles sont urbanisĂ©es et façonnĂ©es, me rend triste. La Vjosa est dĂ©jĂ  affectĂ©e par une grande quantitĂ© d'ordures et de dĂ©chets. En Albanie, cela devient beaucoup plus Ă©vident et gĂ©nĂšre un goĂ»t amer quand on pagaie. Je vois les montagnes et le paysage, mais je vois aussi la rive avec des sacs poubelles emmĂȘlĂ©s dans les arbres. Ce n'est pas la toundra, l'Alaska ou la Terre de Feu. La riviĂšre reçoit ce que plusieurs villes lui renvoient
 des ordures. MalgrĂ© cela, j'ai pu trouver un bon emplacement de camping comme celui que j'avais prĂ©cĂ©demment, oĂč je pouvais me reposer avec une belle vue, des chĂšvres, le bruit de l'eau et la tranquillitĂ©, bref ce que l’on souhaite dans ces moment-lĂ .
Avant d'atteindre Permet, j'ai eu un accident. Le packraft avait eu des performances optimales en matiĂšre de manƓuvrabilitĂ© et de navigation, une fois de plus l'erreur est humaine. J'ai mal interprĂ©tĂ© la riviĂšre, qui avait un fort courant Ă  cause des rĂ©centes inondations et dans un piĂšge de terrain, le courant m’a projetĂ© en une demi-seconde contre le cĂŽtĂ© du canyon dans une zone pas plus large que sept mĂštres, me coinçant sous un tas de pierre. L'eau commence Ă  entrer et me presse contre la cavitĂ©, mon pied s'enroule dans une ligne et j'ai quelques secondes pour rĂ©agir. Il m’a fallu quarante-cinq secondes pour m’extraire et, en apnĂ©e, tirer de toutes mes forces pour dĂ©gager le packraft des pierres contre la pression de la riviĂšre et nager rapidement vers un endroit sĂ©cure. Je suis encore Ă©tonnĂ© qu'il ait tenu le coup sans perforation ni dommage sĂ©rieux. J'ai juste dĂ» le regonfler un peu et rĂ©parer une piĂšce. J’ai eu quelques sĂ©quelles psychologiques dues Ă  cet incident et, Ă  Permet, je me suis reposĂ© pendant quelques jours, notamment en raison du mauvais temps, pour retrouver ma force et confiance.
Photo kayak en Albanie

Albanie, pays sauvage.

Pays de vieilles voitures, de visages sĂ©rieux, de dames voilĂ©es, des mosquĂ©es, des cafĂ©s, de vieilles Mercedes Benz, de poissonniers et de poulets. Des monoblocs, beaucoup de tabac, beaucoup d'alcool avant et aprĂšs le repas, des gens curieux, de la nourriture bon marchĂ©. Pour ĂȘtre honnĂȘte, j'aime tout, ĂȘtre seul dans un pays oĂč je ne crains d'ĂȘtre poignardĂ© pour avoir volĂ© un dollar comme dans mon pays, mais en mĂȘme temps, la population a un regard franc et direct. Il y a beaucoup de perspectives possibles. Aujourd'hui, je me souviens paisiblement de ces terres en ayant le sourire.
La riviĂšre jusqu'Ă  KĂ«lcyrĂ« continue de me challenger au niveau de la navigation, il ne faut pas ĂȘtre distrait, ayant mĂȘme ses virages de classe III, selon la quantitĂ© d'eau avec laquelle nous l’abordons. Et une fois que nous avons passĂ© cette ville, les choses se calment et il est temps de ramer plus fort. Vu l'instabilitĂ© de la mĂ©tĂ©o, j'ai dĂ©cidĂ© de ramer les cent trente kilomĂštres qui restaient en deux jours, en campant dans l'un des nombreux endroits oĂč c'est possible. La nature est lĂ , prĂ©sente dans les ravins oĂč nichent des milliers d'oiseaux, oĂč l'on peut aussi apercevoir des hĂ©rons, des pĂȘcheurs et plus encore.
Je sentais l'odeur de la mer et dĂ©jĂ  dans les derniers kilomĂštres de navigation, je pouvais voir les filets des pĂȘcheurs albanais sur les deux cĂŽtes. Plus d'une fois, j'ai dĂ» faire attention aux cĂąbles qui traversent le fleuve. L'arrivĂ©e dans l'Adriatique Ă©tait choquante, mĂȘme si elle Ă©tait ternie une fois de plus d'une Ă©tonnante accumulation d'ordures. Elle reflĂ©tait exactement la rĂ©alitĂ©. C'est quand mĂȘme un fleuve qui traverse la moitiĂ© de la GrĂšce et toute l'Albanie en dĂ©voilant ses habitants dans leurs bons et mauvais cĂŽtĂ©s. J'ai pu profiter d'un moment de calme seul, aprĂšs m'ĂȘtre battu pendant cinquante miles contre le vent et la marĂ©e montante. AprĂšs un bon repos, j'ai tout emballĂ© et j'ai marchĂ© quelques heures dans le sable jusqu'Ă  la ville la plus proche.
J'ai Ă©tĂ© surpris par un drapeau amĂ©ricain sur la cĂŽte et, par curiositĂ©, je m'en suis approchĂ©. Il y avait une cafĂ©tĂ©ria, j’ai Ă©tĂ© surpris. Je me suis approchĂ© et une personne m'appelait, me faisant signe de passer. Un couple de personnes ĂągĂ©es albanais et un Italien m'ont conviĂ© Ă  entrer et en moins de deux, j'avais dĂ©jĂ  bu ma troisiĂšme pinte et avalĂ© de la nourriture locale. Tout cela, Ă  gorge dĂ©ployĂ©e, en discutant et en riant Ă©voquant le fils ou le petit-fils qui vivait aux États-Unis. Je suis arrivĂ© Ă  Tirana douze heures plus tard, toujours vĂȘtu de mes chaussures nautiques et sentant la riviĂšre.
Photo de l'Albanie en kayak

Macédoine et Turquie

AprĂšs la riviĂšre Vjosa qui m'a fait vivre une sacrĂ©e aventure, j'ai dĂ©cidĂ© de me reposer et de ne pas aller ramer sur une riviĂšre en Bosnie. J'ai visitĂ© les montagnes du Kosovo et sa capitale Pristine. Puis je suis allĂ© en MacĂ©doine. En auto-stop, en bus et en train. J'ai vu un immense lac sur la carte et j'ai dĂ©cidĂ© de m’y rendre. Ohrid est la principale ville touristique du lac homonyme, et je suis arrivĂ© sans but prĂ©cis, mais j'ai trouvĂ© un endroit magique et un lac qui m'a redonnĂ© la motivation de ramer.
Pour faire une pause active, j'ai passĂ© les cinq jours suivants dans une auberge de jeunesse Ă  Ohrid, Ă  faire de l'aviron sur le lac et Ă  montrer aux voyageurs comment s'en servir. Une super nouvelle expĂ©rience pour moi. Ils n'arrivaient pas Ă  croire que je voyageais dans les Balkans avec un bateau dans mon sac Ă  dos. J'aime beaucoup partager le potentiel offert par les packrafts et la possibilitĂ© de contact avec la nature. Les questions ne s'arrĂȘtent pas lĂ , de mĂȘme que la quantitĂ© de recommandations d'Ă©quipement et de choses Ă  considĂ©rer en tant que dĂ©butant. Je leur ai fait savoir qu'Itiwit commençait Ă  vendre le Packraft 100, plus adaptĂ© pour voyager lĂ©ger autour du monde.
Je continue mon voyage à Istanbul en restant presque un mois en Turquie. AprÚs quelques jours d'escalade avec des amis à Trabzon, j'ai retrouvé des compagnons d'aventure. Nous avons commencé à voyager le long de la cÎte ouest. Nous avons testé le matériel dans l'eau de l'ßle de Gökçeada, nous l'avons aussi utilisé comme bateau de survie pour traverser à la nage un canal maritime à Alibey Adasi. Avec Germån Heigel, ces derniers jours, nous avons bien ramé dans la région d'Ayvalik.
Aujourd'hui, depuis ma ville natale Buenos Aires, je continue Ă  partager ce sport avec des amis dans les eaux du RĂ­o de la Plata. En vĂ©rifiant bien Ă©videmment les prĂ©visions chaque matin, les marĂ©es et le vent dans Windy et Windguru, je m’octroie quelques heures d'activitĂ©s pour continuer l’aventure en naviguant parmi les roseaux et prendre les vagues. BientĂŽt les packrafts seront testĂ©s dans les eaux patagoniennes.
Photo d'un kayak et de la mer